Bruno Larebière répond à Alain Soral



Bruno Larebière, rédacteur en chef de
Minute et du Choc du mois, a accepté de répondre aux questions d’Union-Bordeaux pour s’expliquer notamment sur la polémique l’opposant à Alain Soral. En effet, Alain Soral, mis en cause dans Minute pour avoir été assez évasif sur son vote à la dernière présidentielle dans l’émission « Chez FOG » diffusée le 16 février sur France 5, a qualifié celui-ci « d’ordure » et de « crétin ».

  

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Quelles sont les origines de la querelle qui vous oppose à Alain Soral ?

Cela date de mai 2007. Après la publication dans Le Choc du mois d’une tribune libre intitulée « Marx contre Soral », Alain Soral avait souhaité y répondre, ce qui était d’ailleurs le but recherché. Or sa réponse contenait des attaques personnelles que je ne pouvais publier, d’une part par courtoisie à l’égard du signataire de la tribune libre, d’autre part en raison du droit de la presse, puisqu’elle réussissait l’exploit d’être diffamatoire, injurieuse et attentatoire à la vie privée. Je lui ai demandé d’amender son texte, il a refusé, je ne l’ai pas publié, il s’en est indigné. A l’époque, je n’étais pas un « crétin » ni une « ordure » mais un « trotskiste » ! C’est la première injure qui lui est venue à l’esprit. Stalinien un jour…


Et après ?

Le deuxième différend porte sur la publication, dans Minute du 20 février 2008, d’un article intitulé « Alain Soral a-t-il fait la “connerie“ de voter pour Le Pen ? » en référence aux propos qu’il a tenus face à Franz-Olivier Giesbert. Soral avait notamment dit, je le cite : « Je me suis dit quelle est la plus grosse connerie que je peux faire ? Appeler à voter Le Pen. Avec Dieudonné, on s’était un peu entendus là-dessus. Et on a fait l’énorme connerie. » Et quand Giesbert insiste pour savoir s’il a lui-même voté pour Le Pen, il tergiverse, botte en touche et finit par concéder qu’il ne l’a pas fait et que « le vrai acte punk » est d’avoir appelé à voter pour Le Pen sans l’avoir fait soi-même ! L’article relatant cet échange avec une certaine ironie l’a manifestement irrité.
 


D’où ses injures ?

D’où ses injures, précédées d’un coup de fil qu’il a conclu par : « Si je te croise un jour, je t’éclaterai la gueule. » Gracieux, non ? Et quelques heures plus tard, continuant de ruminer l’offense, il m’envoyait un texto ainsi rédigé : « Vous êtes ce qu’on appelle un pauvre type et je pense que vous le savez. Le plus drôle, c’est que les attaques des gens comme vous me rendent service, continuez ! » Si c’est pour une œuvre, continuons.


Pourquoi à votre avis une telle disproportion dans la riposte ?

Parce qu’Alain Soral est ce que j’appellerai un « stalino-égotiste » : tout est dans Soral, rien n’existe en dehors de Soral. Il perçoit tout désaccord comme une attaque contre son auguste personne, par définition intouchable, puisqu’il est un intellectuel, pardon, il est l’Intellectuel, le Phare de la Pensée, etc. De plus, comme il a pris des « risques » en rejoignant le camp national (ou du moins en se ralliant à Le Pen, de sorte qu’il peut maintenant critiquer une bonne partie de la mouvance nationale « de l’intérieur »), il estime que quiconque se situe dans le même camp doit le soutenir, le défendre, promouvoir ses œuvres…

Une anecdote à ce sujet : après la parution de son dernier roman, le collaborateur du Choc du mois à qui j’en avais confié la lecture m’a indiqué qu’il ne souhaitait pas en rendre compte, n’ayant apprécié ni la forme ni le fond. Il l’a clairement dit à Alain Soral, qui lui a répondu en substance qu’il ne lui demandait pas s’il avait aimé ou non le livre, mais exigeait qu’il en parle ! En bien évidemment !

On pourra en déduire, au choix, que ce n’est pas le Front national qu’Alain Soral a rejoint mais la caricature qui en a été faite depuis des décennies, ou que le stalinisme est finalement compatible avec la défense du petit commerce…


Sur son site Internet, Alain Soral vous appelle « Loutfallah ». Pour quels motifs ?

Sur ce plan-là, on peut dire qu’Alain Soral a vite intégré les réflexes d’une certaine extrême droite, celle de la mouvance néo-nazie, qui, dans les années 1980, m’appelait déjà ainsi. L’année dernière déjà, il m’avait défini comme un « Levantin au pseudonyme vieille France », en un réflexe pavlovien (ou vychinskien…) assez peu en adéquation avec les idées qu’il professe et dont on peut se demander si elles ne sont pas finalement qu’une façade. Il est quand même assez peu cohérent de se faire le chantre de l’assimilation et d’appeler la droite nationale à « transcender les clivages ethniques » tout en traquant et en dénonçant de façon obsessionnelle le supposé métèque !

Alors pourquoi Loutfallah ? Parce que je suis né, en 1963 à Paris (c’est pour les fiches de M. Soral), dans une clinique de bonnes sœurs, de père et de mère inconnus, et que j’ai été adopté par Monsieur Loutfallah el-Khoury (soyons complet), Libanais de confession maronite (il sera naturalisé français plus tard) et son épouse (blanche, Française et catholique, qu’Alain Soral se rassure), née Larebière. Pour tout un tas de raisons qui ne regardent que moi, je me suis toujours senti plus « Larebière » que « Loutfallah ». Et puisque je n’étais ni l’un ni l’autre – génétiquement s’entend, si c’est cela qui préoccupe Alain Soral –, j’ai choisi de prendre le nom de Larebière, sous lequel j’avais commencé ma carrière journalistique, et, surtout, qui correspondait mieux, d’une part à mon physique qui n’a rien de « levantin », d’autre part à la culture européenne, française (et périgourdine) qui est la mienne.

Alain Soral le sait très bien ou aurait pu le savoir très facilement puisque nous avons des amis communs (si, si !) qui n’ignorent rien de mes origines. Il a préféré me faire un procès en francité comme (pardon pour le cliché) aux « heures les plus sombres de notre histoire ». Encore une chance qu’il ne soit pas au pouvoir : j’aurais sans doute été convoqué et sommé de produire un certificat d’aryanité sous peine d’être interdit d’exercer ma profession et, qui sait, déchu de la nationalité française…

Toujours est-il que je ne m’étais jamais expliqué publiquement sur mes origines, voilà qui est fait, une fois pour toutes.


Pensez-vous que Soral est vraiment sincère dans son engagement au Front national, ou bien que celui-ci est dû à d’autres motifs ?

Je crois Alain Soral sincère. Il suffit de revoir l’émission avec Giesbert. Quand il lui est demandé s’il a voté pour Le Pen et qu’il n’arrive pas à s’en sortir, il est presque touchant. On voit un petit garçon pris les doigts dans le pot de confitures, qui a besoin qu’on l’aime et qui a peur de se faire disputer. Alors il fait sa pirouette, elle aussi très enfantine.

A côté de cela, il me paraît évident qu’il profite de l’aura soudaine dont il jouit auprès d’un public (et d’un lectorat) captif, auprès duquel il joue du thème de la victimisation (je suis devenu un écrivain maudit parce que je suis courageux, vous devez m’aider), tout en essayant de revenir sur le devant de la scène médiatique pour des raisons alimentaires et un impérieux besoin de reconnaissance sociale.

S’il devait être écarté du comité central du Front national, où il a été coopté par Jean-Marie Le Pen, ça lui rendrait service, m’a-t-il dit : « Je ferais plus de plateaux et je vendrais plus de livres. » Une lettre de démission ferait l’affaire, non ?

Ce qu’on ne peut en tout cas pas mettre en doute, c’est la fascination des dirigeants du Front national à son égard. Dans n’importe quel autre parti politique, un membre du comité central refusant de dire s’il a voté pour le candidat du parti à l’élection présidentielle aurait été débarqué dans l’heure. Je ne m’avancerai pas beaucoup en disant que si n’importe quel autre membre du comité central du Front national avait agi comme lui, il aurait été limogé. Certains ont été écartés pour beaucoup moins que ça. Or lui est toujours en fonction, et cela malgré les fortes oppositions internes qu’il rencontre. Les membres du comité central ou du bureau politique sont nombreux à me faire part de leur inquiétude, de leur exaspération ou de leur lassitude à son sujet. Comme dit l’autre : il faut croire qu’entre Le Pen et Soral, c’est du sérieux !


Dans la réponse d’Alain Soral à l’article de Minute, il impute le score d’Hénin-Beaumont à la « stratégie nationale républicaine », qu’en pensez-vous ?

C’est tout bonnement grotesque et insultant. C’est insultant pour Steeve Briois, qui fait un travail de terrain considérable dans la ville et dans la circonscription depuis des années. Et c’est insultant aussi pour Marine Le Pen, qui accomplit ce même travail et apporte une valeur ajoutée qui est sa notoriété, due aussi bien à son aisance médiatique qu’à l’entreprise qu’elle a engagée et qui est connue sous le nom de « dédiabolisation » du Front national.

Le grotesque de l’affaire est qu’Alain Soral veut faire croire qu’une ligne « nationale républicaine » a été adoptée, alors que la campagne de Marine Le Pen aux législatives et celle de Steeve Briois et de Marine Le Pen pour les municipales sont tout simplement dans la ligne historique, « nationale, populaire et sociale », du Front national !


Est-ce alors une manière d’éviter de dire que ce positionnement est une des causes de l’échec du 22 avril 2007 ?

Bien sûr et il cherche maintenant à se défausser, en faisant porter à d’autres (dont moi) la responsabilité de cet échec, m’accusant par exemple d’avoir « fait campagne contre Jean-Marie Le Pen », ce qui est évidemment faux, alors que, dans Minute, nous avions au contraire mis en garde contre les risques que comportait la stratégie adoptée sous le titre « Le grand pari de Jean-Marie Le Pen » et sous le surtitre « La présidentielle à quitte ou double » (n° 2297 du 28 février 2007).

On ne va pas refaire ici l’historique de la présidentielle, ni revenir sur toutes les erreurs qui ont été commises, qu’il serait au demeurant injuste d’attribuer en totalité à Alain Soral comme il fut également injuste de les imputer à Marine Le Pen, qui fut loin de tout contrôler.

Cela étant dit, il y eut à mon sens quatre erreurs majeures et fondamentales :

• le refus délibéré de chercher à séduire l’électorat droitier, au motif (ahurissant quand on y repense) que Jean-Marie Le Pen pensait qu’il affronterait Nicolas Sarkozy au second tour et qu’il lui fallait donc chercher à coaliser les antisarkozystes ;

• l’abandon de la thématique nationale qui a fait le succès du Front national et de Jean-Marie Le Pen au profit, justement, de cette « stratégie nationale républicaine », qui a désorienté l’électorat traditionnel et n’a pas convaincu un électeur nouveau, stratégie d’autant plus malvenue qu’elle intervenait au moment même où ses trois principaux rivaux, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou s’emparaient, eux, de la « thématique France » ;

• la croyance que, après le référendum sur la Constitution européenne, une majorité sociale pouvait se transformer en une majorité politique, alors que nous étions dans le premier cas dans une dynamique d’addition des refus qui est totalement inopérante dans la logique positive de l’élection présidentielle ;

• enfin, bien sûr, le brouillage du discours sur l’identité nationale avec les fameux propos tenus sur la dalle d’Argenteuil en un des moments les plus surréalistes qu’il nous ait été donné de voir et d’entendre.

J’ignore quelle est la part d’Alain Soral dans chacune de ces erreurs, dans la mesure où on a tendance à lui attribuer beaucoup plus qu’il n’a fait, et que lui-même bien entendu, flatté, laisse dire le plus souvent, ce qui lui permet de renforcer son image d’éminence grise sans qui plus rien ne se ferait au Front national.


La percée de la lecture marxiste de l’histoire mise en avant par Alain Soral dans le mouvement national peut-elle être source de renouveau ou au contraire fatale à la droite nationale ?

Ce n’est pas tant cela qui me gêne dans la mesure où j’ai toujours regretté que la droite française, comme la gauche d’ailleurs, soit hémiplégique. Si les schémas léninistes ont échoué de façon terrifiante (avec l’aval et la coopération de Trotski, que je ne dissocie pas, ceci pour répondre à l’absurde première attaque d’Alain Soral), une part de l’analyse marxiste conserve sa pertinence et mérite d’être relue et méditée, surtout à l’heure de la financiarisation totale de l’économie. Le risque, bien évidemment, serait d’adopter en toute circonstance une grille de lecture marxiste, ou d’essayer de concilier l’inconciliable, jusqu’à devenir matérialiste et refuser toute transcendance, tendance qui me semble assez marquée chez Alain Soral, ou, autre exemple, d’adopter la notion de « sens de l’histoire ».

Ce qui me gêne le plus, c’est qu’Alain Soral agit, parle, pense comme s’il était, en raison de sa formation marxiste, seul habilité à traiter de la « question sociale ». Alain Soral est lui aussi hémiplégique. La doctrine sociale de l’Eglise ? Connais pas. La longue histoire du catholicisme social ? Jamais entendu parler. Le nationalisme-révolutionnaire ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Ah si ! Des types qui relayent gentiment mes thèses. L’historique du Front national ? Balayé ! Tabula rasa !

A croire qu’il y a deux « Front national », celui d’avant et celui d’après-Soral. Nous serions donc dans le Front national soralien an II. A voir les résultats électoraux, vivement le 18-Brumaire ! En espérant qu’on fasse l’économie de la Terreur…


Vous ne pensez donc pas qu’Alain Soral peut aider le Front national à conquérir le pouvoir ?

Alain Soral vient lui-même de répondre à cette question par la négative. Il a publié le 24 février 2008 un texte « pour clore toute polémique » sur son engagement, par lequel il en appelle à « l’union sacrée de la gauche du travail et de la droite des valeurs », formule fort sympathique mais qui n’apporte strictement rien de neuf au Front national. Or quel but fixe-t-il ? Créer « le grand parti d’opposition ». Un peu plus de culture contestataire dans un parti qui ne parvient déjà pas à se défaire de sa posture protestataire, ça n’en fera pas une force de gouvernement.


Alain Soral, membre du comité central du FN, voit une union possible entre les « beurs » des banlieues et les « petits Blancs ». N’est-ce pas là le signe que le Front national est en profond désarroi idéologique sur la question de l’identité ?

Alain Soral n’est pas le seul à penser ainsi. C’est très exactement ce qu’avait théorisé, en 2005, Jean-Claude Martinez dans son livre A tous les Français qui ont déjà voté une fois Le Pen (éd. Lettres du monde), où il prônait l’alliance « entre le gendarme à la retraite dans le Gers et le beur en économie de cueillette aux Minguettes » ! Comme si le gendarme à la retraite, regardant le journal télévisé, n’avait pas plutôt envie de reprendre du service !

Ce « désarroi » sur l’identité était sous-jacent depuis très longtemps, il est apparu à tous durant la dernière présidentielle, avec la fameuse phrase lancée par Jean-Marie Le Pen sur la dalle d’Argenteuil (« Vous êtes les branches de l'arbre France, vous êtes des Français à part entière »), suivie de peu par la saillie sur les origines hongroises de Nicolas Sarkozy, puis lors des polémiques qui ont éclaté entre Marine Le Pen et des mouvements régionalistes et identitaires en fin d’année dernière.

Là encore, le débat aurait pu s’ouvrir plus tôt puisque, dans son livre A Contre-Flots (Grancher), publié au printemps 2006, Marine Le Pen déplorait que l’on subventionnât les écoles Diwan, où l’enseignement est dispensé en breton, et regrettait le temps où l’« on trouvait encore en Bretagne – dans les bus, les écoles ou autres lieux publics – des panneaux portant : “Interdiction de parler breton et de cracher par terre“ » !

La « stratégie nationale républicaine » défendue par Alain Soral (même s’il nie, cette fois, en être l’inventeur, il la défend et la propage) a ceci de fâcheux que la composante « républicaine » écrase tout le reste, réduisant de facto l’identité nationale aux fameuses « valeurs républicaines » dont la quasi-totalité de la classe politique fait l’alpha et l’oméga de toute réflexion sur le sujet.

D’où, désormais, une définition a minima de l’identité nationale par le Front national, faite d’acceptation desdites « valeurs républicaines », de connaissance de l’histoire de France et de maîtrise de la langue française. En somme, le programme de Nicolas Sarkozy, augmenté de la « préférence nationale » mais sans la « politique de civilisation ». « Obligez Nicolas Sarkozy à tenir ses promesses, votez Front national ! », c’est un bon slogan de campagne ; si ça devient un programme, c’est plus embêtant.

D’où, aussi, dans cette vision purement « républicaine », le retour à une conception jacobine (ou chevénementiste) de la France et l’installation, désormais durable, d’un discours purement hexagonal qui ne laisse aucune place, ni à l’édification d’une puissance européenne, accusée d’attaquer la France par le haut, ni à l’expression des singularités régionales et locales, accusées d’attaquer la France par le bas.

Et l’on en arrive à ce paradoxe que, concrètement, car c’est tout de même à la réalité que se mesure le bien-fondé ou non d’une « stratégie », dans cette France désincarnée, réduite à une idée, où l’appartenance n’est plus définie que de façon abstraite, ne parviennent plus à défendre leur véritable identité (ethnique, religieuse, culturelle) que ceux qui ont le plus de vigueur, se sentent dans une phase conquérante ou disposent des plus forts soutiens, et savent s’affirmer, non plus dans la France mais malgré la France ou contre elle. A ce jeu-là, ce n’est pas le Français de souche qui en sortira vainqueur. Ni la France, s’il en reste quelque chose.


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